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A la découverte d'un artiste salvetain

Publié le mercredi, juin 16, 2010 et classé sous , , . Vous pouvez suivre les commentaires de cet article par RSS 2.0 .

La Salvetat Durable a le plaisir de vous faire découvrir YAMAE, un auteur de nouvelles fantastiques.
YAMAE s'est penché sur l'histoire de notre Château et il nous en offre une version passionnante et pleine de poésie.
Nous vous invitons a découvrir cet auteur atypique sur son site, sur TheBookEdition ou sur MySpace.


Ermessinde

« Mesdames et Messieurs, la visite va commencer. A l’extérieur, vous pouvez vous procurer divers rafraichissements, mais il est interdit de consommer à l’intérieur du château. »
J’en vois quelques-uns qui sourient et qui chuchotent. Je n’y prête pas davantage attention. J’invite les visiteurs à me suivre. J’ai la ferme intention de leur apprendre tout ce qu’ils doivent savoir sur le château et son histoire. Il y a, malheureusement, des enfants, dans le public. J’espère que cela se passera bien. Les enfants ne respectent jamais rien. Ils touchent à tout et ce, malgré les interdictions des parents.

Je commence ma narration par la date et les circonstances de la construction du château.

« C’est en 1088 que Raymond IV prend la décision de construire ce château, et ce, dans le but de prévenir toute nouvelle invasion. Le choix de son emplacement est défini pour en faire un poste d’observation et de défense. Ses murs longent l’Aussonelle, un cours d’eau de la région. »


Dieu que cela m’ennuie. Mais aujourd’hui, il est là, enfin. Je dois donner le meilleur de moi-même. Il ne doit pas douter de moi. Les rires moqueurs des enfants me déstabilisent. Je n’aime pas les enfants. Je continue, malgré tout, mon exposé, naviguant de pièce en pièce, leur faisant découvrir plus de somptuosité qu’ils n’ont jamais vue. Dehors, le soleil est d’une chaleur accablante. Mais l’intérieur du château est froid, glacé, même ! Mais c’est un froid bénéfique. Un froid qui conserve. Les badauds sont éberlués devant tant de beauté. Ils pensaient sans doute qu’on ne pouvait voir autant de richesse qu’a Versailles. Ils sont si naïfs, si ignorants. L’histoire n’a jamais conquis que très peu de fidèles. Les autres s’en servent pour égayer leurs Dimanches. Pour se faire valoir en société. Ça fait très bien de clamer à qui veut bien l’entendre, qu’on passe ses week-ends à visiter des châteaux. Ça fait « cultivé » ! Ces gens-là me dégoûtent, l’humanité s’est enlaidie. Le progrès l’a tuée, rendue dépendante. J’ai eu beau demander que les téléphone portables soient éteints pendant la visite, il y en a toujours un qui sonne ! Toujours un, plus malin que les autres qui a, soi-disant, oublié. Et ces gosses qui touchent à tout ! Je perds, peu à peu, le contrôle. J’ai du mal à rester calme.

Afin de changer d’air, j’emmène les visiteurs dans les jardins. J’énonce le nom de chaque arbre, chaque pierre. Je me dois d’être parfaite. Surtout aujourd’hui. Le soleil n’y va pas de main morte. Nous sommes en sueur… enfin, eux, pas moi. Depuis le temps, je m’y suis faîte. Je fais, volontairement, trainer les choses. La visite est bientôt terminée et je ne sais pas encore comment le retenir. J’autorise donc ces pseudo-touristes à s’enquérir de boissons fraiches et à les consommer dans le parc, à la condition, bien évidemment de respecter la propreté des lieux et de faire usage des poubelles mises à leur disposition.

Après leur avoir laissé le temps de se rafraichir, je les invite à continuer la visite. Nous prenons la direction des chambres. Je m’attarde, sciemment sur celle de Raymond de Saint-Gilles, dit Raymond IV. Je scrute avec attention le visage du visiteur qui me tient à cœur. Ce que j’y vois me ravit. Un léger tressaillement ! Une sensation de bien-être et de malaise à la fois. Malaise que je me dois d’effacer pour son bien. Pour notre bien. Nos pas nous ramènent dans l’entrée du château. La visite prend fin. Je n’ai toujours pas trouvé le moyen de lui parler. Tant pis. Je serais directe, je n’ai pas le choix. Je ne peux le laisser partir.

Je salue les promeneurs un à un, leur souhaitant une bonne fin de Dimanche. Par chance, il est parmi les derniers à sortir. Je me lance. J’utilise, comme prétexte, le fait d’avoir remarqué son intérêt pour l’histoire que je viens de leur conter. Je lui demande s’il peut rester quelques minutes supplémentaires. Il accepte, non sans hésitation. Les derniers visiteurs sont sortis. Les portes du château se referment. Nous sommes seuls. Enfin !

L’entrée en matière risque d’être rude. Je m’apprête à lui faire découvrir une vérité qu’il aura, sans nul doute, bien du mal à avaler. Mais je le dois, pour son salut. Il doit se rappeler, il est temps. Je l’invite à prendre place dans un somptueux fauteuil. Cela n’a rien d’innocent, bien sûr. C’est son fauteuil préféré. Il a passé des heures entières assis là, à réfléchir, échafauder des plans de batailles, à pleurer. Ma voix se fait plus douce, plus chaleureuse. Je dois le convaincre de la véracité de mes propos. Il ne doit pas en douter. Il doit se retrouver.

Nous laissons tomber l’historique du château pour nous intéresser à celui de Raymond IV. Je lui dis tout ce que je sais, je lui explique comment j’ai suivi ses pas, sa vie. Même après ma mort. Je lui demande pourquoi il n’a pas accepté de devenir roi de Jérusalem. Il sourit, me prenant, sans doute possible pour une demeurée. Mais il se prête au jeu. C’est un connaisseur. Il me répond qu’il l’a refusé pour fonder le comté de Tripoli. Il ajoute qu’il se rappelle même du jour de sa mort, en 1105. Puis il éclate de rire et se lève. Il est prêt à quitter les lieux. Je ne peux pas le laisser faire.

-    Ermessinde !


Il s’arrête brusquement, se retourne.

-    Je vous demande pardon ?
-    Ermessinde, Ermessinde de Pelet, c’est ainsi que je me nomme.


Une lueur passe dans ses yeux. Il a l’air hagard, ne comprenant pas ce qui lui arrive. Je me lève à mon tour, m’approche de lui. Je prends sa main. Le contact de ma peau sur la sienne semble éveiller en lui, de lointains souvenirs. Et pour cause. Presque mille ans se sont écoulés. Presque mille ans que je l’attends, ici, dans ce château. Même si je n’y ai jamais vécu de mon vivant, je savais, au fond de moi que c’est ici que je le retrouverai. Il finit par se rassoir. Je lui parle avec tendresse, ma main caressant la sienne. Je fais en sorte qu’il se souvienne. Je lui parle de nous, de notre union, de ma mort, du comté de Melgueil que je lui ai cédé, par testament. Il fronce les sourcils. Il est tel qu’avant.

Je lui parle ensuite de sa disparition. Non pas de sa mort, mais de sa désertion de mon champ de vision, aussi aiguisé, soit-il. Je lui parle également des longues années d’attente, où, patiemment, j’espérais le retrouver enfin. Je lui parle du soleil, la seule compagnie qu’il m’a été donné d’avoir. Aujourd’hui, les hommes veulent l’utiliser pour leurs profits. J’ai donc dû influencer les esprits pour que cela n’arrive pas. Le glanage de l’astre n’aura pas lieu. Je m’y oppose farouchement. Les murs du château commencent à s’effriter, signe évident que Raymond prélude à se rappeler. Je lui avoue que de ses différentes épouses, je suis la première, celle qui n’a jamais cessé de l’aimer, même par delà le trépas. La toiture s’effondre. Le luxueux mobilier se volatilise, comme par enchantement. Les parcs et jardins, retrouvent leurs friches. Ça y est, Raymond se souvient. Il tente à présent de se libérer de ce corps qui n’est pas le sien. Je le revois, me serrant dans ses bras, faisant preuve d’une tendresse inappropriée pour un combattant de son espèce. Je me souviens, à mon tour. Dans un ultime élan, il se débarrasse enfin de son enveloppe charnelle. Il vient se placer face à moi, prends mes mains dans les siennes…

-    Ermessinde, je me souviens…

Je le laisse seul quelques instants, le temps de raccompagner le visiteur dont mon époux a utilisé le corps. Celui-ci n’a pas l’air de comprendre ce qui lui arrive. Je lui dis, en deux mots, qu’il semblait fatigué et que je lui ai permis de se reposer un peu. Je l’invite à sortir, puis je referme les lourdes portes.
La grisaille continue à se substituer aux couleurs vives et criardes du château. Le décor n’est plus nécessaire. Raymond est de retour. Il se remémore sa vie passée, ses batailles, ses conquêtes, son amour pour moi. Et cette fois, rien ne pourra nous séparer.

Nous sommes Ermessinde de Pelet et Raymond de Saint-Gilles. Nous sommes au château. Nous vous attendons !

YAMAE
14/06/2010

2 Commentaires pour “ A la découverte d'un artiste salvetain”

  1. halentien a dit:

    Un pur délice que cette plume "régionale" !
    Personnellement, je ne manque pas de lire chacune de ses histoires où le coup de théâtre, en leurs issues, est très rarement absent...
    Magnifique !

     
  2. Bernard a dit:

    Etrange …
    Effectivement, lors des Journées du Patrimoine 2007 au château, un poème intitulé « Le Chêne des Druides » parlait d’un secret que le gros chêne souhaitait révéler. Il s’agissait entre autres mystères, d’amours secrètes non révélées. Ce qui est étrange, c’est qu’après avoir pris contact avec les administrateurs du château nul ne sait qui a signé ce poème. Quelques mois plus tard, un terrible malheur arriva. Tel Attila le Hun qui détruisait tout, un monstre s’acharna sur le symbole du village : notre château bien aimé. Il réduit au silence notre merveilleux chêne et s’attaqua encore à de nombreux arbres de la commune. Ce monstre était un étranger au village aussi sournois que déterminé, il s’appelait Klaus. Devant la férocité de cet adversaire, l’amour d’Ermessinde de Pelet pour Raymond IV de Saint Gilles ne serait-il pas la lueur d’espoir face aux forces obscures ?
    Yamae, parce qu’il vient du fond des âges, sait entendre au milieu des forces telluriques le langage secret des êtres du passé dissimulés dans les enveloppes charnelles de nos contemporains.
    A présent tout devient clair : le gros chêne assassiné ne peut plus nous parler, mais aujourd’hui une aube nouvelle fait surgir Yamae et la connaissance universelle va enfin nous être révélée.
    Merci à toi Ami…

     

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